Paris, le 17 septembre 2020
La décision du Conseil Constitutionnel du 19 juin 2020 a estimé l’article L. 3225-5-1 du Code de la Santé Publique concernant les pratiques d’isolement et de contention contraire à l’article 66 de la Constitution. Elle impose une nouvelle rédaction de cet article dont l’abrogation est fixée au 31 décembre 2020.
Avant d’envisager les propositions de rédaction de l’article, la Conférence nationale des présidents des Commissions Médicales d’Etablissement de Centres Hospitaliers Spécialisés tient à rappeler les éléments suivants :
Dans le champ des disciplines médicales, la psychiatrie se caractérise par une législation spécifique permettant d’engager des soins sans consentement. Ainsi, en tant que discipline médicale, elle a la particularité de la mise en oeuvre de pratiques conciliant protection du patient atteint de troubles psychiatriques et respect de ses droits fondamentaux. Elle doit pour cela associer transparence des fonctionnements institutionnels et humanité des accompagnements soignants. Il est nécessaire d’insister sur le fait que de telles pratiques ne peuvent s’inscrire que dans le cadre d’un processus de soin et en aucun cas être instrumentalisées à des fins de contrôle social.
Compte-tenu de l’évolution des soins ces cinquante dernières années, il convient également de souligner que les soins librement consentis en psychiatrie sont aujourd’hui la règle et les soins sans consentement l’exception. Pour autant, les pratiques de contention et d’isolement constituent des restrictions graves aux libertés individuelles. Elles entrent dans le cadre des soins sans consentement.
En raison de la très grande acuité de cette problématique, de la persistance de phénomènes de stigmatisation liées à la pathologie mentale, de disparités fortes dans les recours à ces pratiques et d’interrogations encore trop fréquentes sur la qualité des soins en établissement, la conférence nationale des présidents de CME de CHS, en partenariat notamment avec la Fédération Nationale des Associations d’usagers en PSYchiatrie et après de nombreux échanges avec le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté et la Haute Autorité de Santé, a fait de la réduction déterminée des pratiques de contention et d’isolement un des objectifs majeurs de son action. Elle a fortement sollicité à plusieurs reprises les pouvoirs publics pour la création d’un observatoire national des pratiques de contention et d’isolement chargé d’en limiter les pratiques et d’en suivre l’évolution.
La conférence souligne en effet que la mobilisation pleine et entière des établissements autorisés en psychiatrie pour atteindre ces objectifs nécessite une politique volontariste de la part des psychiatres et des équipes de soins en lien avec leurs directions administratives sur la base d’orientations clairement définies au plan national.
Ainsi, les établissements doivent disposer des moyens humains et matériels nécessaires suffisants et adaptés aux conditions d’hospitalisation locales pour permettre la mise en oeuvre de ces nouvelles contraintes de la part d’équipes de soins déjà très éprouvées par la situation dégradée de la psychiatrie publique et les circonstances actuelles de l’épidémie COVID-19. A l’évidence ces nouvelles
contraintes conduisent à une réorganisation des soins et notamment de leur permanence qui ne peut se concevoir sans d’importantes mesures d’accompagnement. En effet, plus que dans tout autre spécialité, la psychiatrie s’appuie sur une forte dimension relationnelle et particulièrement sensible au climat social et sociétal. C’est dire toute l’importance que les unités d’hospitalisation soient dotées d’équipes médicales et soignantes formées, aux effectifs adaptés aux besoins quotidiens d’une part en termes de prévention primaire et secondaire de ces situations, d’autre part en matière de qualité et de sécurité des soins. Le recensement et la promotion des alternatives, dont l’aménagement d’espaces d’apaisement doit contribuer à une dynamique de désescalade au sein des unités de soins dont l’architecture interne doit permettre de traiter soins libres et soins sans consentements sans ségrégation, comme épisodes d’une même histoire clinique.
Ces mesures fortes d’accompagnement des équipes doivent être assurées et diversifiées pour associer praticiens hospitaliers et équipes soignantes, notamment infirmières. Il s’agit de favoriser la mise en place de formations et de programmes dédiés et diversifiés, de groupes de travail, supervisions, analyses de pratiques en veillant en permanence à la dimension éthique et à l’humanité du soin.
L’anticipation des situations de crise, le développement des expériences des techniques de désamorçage, la valorisation des retours d’expériences permettra d’étoffer les répertoires de ressources. Une politique de gestion des ressources humaines favorisant les partages et transmissions de savoirs notamment pour les professionnels les plus jeunes ou peu expérimentés et impliquant l’ensemble des personnels concernés est de nature à réduire les risques d’épuisement professionnel et les risques psycho sociaux. Des actions de sensibilisation aux soins sans consentement doivent également être organisées à destination des élus locaux et de leurs équipes.
Enfin, la thématique des pratiques de contention et d’isolement doit être au centre des préoccupations de la Commission Médicale d’Etablissement. Elle en fait un point régulier en séance plénière et contribue à une dynamique de travaux de recherche, en lien avec la Commission des Soins Infirmiers de Rééducation et Médico-Technique et la commission des usagers. C’est dans ce contexte que la conférence nationale des présidents de CME de CHS a mis en place un groupe ressource dans le but de répondre aux critiques formulées à l’égard des dispositions législatives concernées. Le groupe ressource* formule les préconisations de rédaction suivantes :
Les pratiques de contention et d’isolement sont réalisées dans des espaces dédiés au sein des unités d’hospitalisation à temps complet des établissements autorisés en psychiatrie et dans le cadre de soins sans consentement. Elles sont de dernier recours, nécessaires, adaptées et proportionnées à l’état clinique du patient. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre de l’établissement, prise pour une durée limitée.
Leur mise en oeuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin. Les mesures alternatives tentées et arguments cliniques qui ont conduit à ces décisions de même que les mesures de suivi médical et infirmier sont tracées dans le dossier du patient.
Dès leur mise en place, toutes les mesures d’isolement ou de contention sont signalées au Juge des Libertés et de la Détention par la transmission d’un bordereau nominatif extrait du registre par l’administration du centre hospitalier.
La durée de la contention doit être limitée à 6 heures et celle de l’isolement à 12 heures. En cas de nécessité de prolongation de la mesure, la décision est exceptionnellement renouvelée par périodes maximales de 6 heures pour la contention et de 12 heures pour l’isolement.
À tout moment la mesure peut être levée sur décision d’un psychiatre de l’établissement dès que l’état clinique du patient le permet. Au-delà de 24 heures pour une contention ou dans les 48 heures pour un isolement, la décision médicale justifiant la mesure est transmise au Juge des Libertés et de la Détention.
Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l’agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l’article L. 3222-1. Pour chaque mesure d’isolement
ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillée. Le registre, qui doit être établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, au
Juge des Libertés et de la Détention, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires.
Dans le cadre de sa responsabilité en matière de qualité et de sécurité des soins, la CME de tout établissement autorisé en psychiatrie établit annuellement et en synergie avec la direction de soins un rapport validé par l’établissement rendant compte de la politique générale définie en matière de soins sans consentement, et notamment en matière de réduction déterminée des pratiques de contention et d’isolement évaluées mensuellement, et de leur évolution. Ce rapport est transmis pour information au Juge des Libertés et de la Détention, à l’Agence Régionale de Santé, et pour avis à la commission des usagers prévue à l’article L. 1112-3 et au conseil de surveillance prévu à l’article L. 6143-1.
*Membres du groupe ressource
- Charles ALEZRAH, Psychiatre, Président du CREAI-ORS Occitanie
- Claude FINKELSTEIN, Présidente FNAPSY
- Radoine HAOUI, Président de CME, Centre Hospitalier Marchant à Toulouse
- Jean-Paul LANQUETIN, Infirmier, Groupe de Recherche en Soins Infirmiers
- Christian MULLER, Président de la Conférence nationale des presidents de CME de CHS
- Annick PERRIN – NIQUET, Présidente du CEFI-PSY
- Marie-Noëlle PETIT, Présidente de l’ANPCME
- Christophe SCHMITT, Président de CME, Centre Hospitalier Jury et Lorquin à Metz
- Jean-Louis SENON, PUPH, Président du GT Psychiatrie FHF
- Michel TRIANTAFYLLOU, Psychiatre, Chef de pôle, GHU Paris Psychiatrie et NeuroSciences