Lettre ouverte à Madame Marisol Touraine Ministre des Affaires Sociales et de la Santé

Madame la Ministre,

Nous sommes à l’aube de l’annonce de votre loi de Santé. Cette loi est, vous le savez, très attendue des usagers, patients familles et professionnels. Ils savent qu’il s’agit, peut-être pour la première fois en ce domaine, de définir les objectifs d’une authentique politique de santé, celle dont notre pays a besoin. Ils savent aussi que cette loi, qui s’inscrit dans le cadre général de la stratégie nationale de santé que vous avez impulsée et qui en constitue le socle, va bien au delà de l’hôpital et de ses professionnels. Elle devrait donner au territoire ses lettres de noblesse en faisant de celui-ci désormais l’axe structurant de la prévention et du soin. Elle devrait aussi consacrer la réinscription d’un service public hospitalier au sein d’un espace plus grand, le service territorial de santé. Enfin, cette loi, du fait qu’elle comportera un nombre réduit d’articles, devrait avoir par conséquent une forte portée symbolique.

C’est pourquoi, Madame la Ministre, usagers, patients familles et professionnels que nous représentons, ne peuvent que se reconnaître dans la pertinence de votre démarche.

Nous ne pouvons en effet que nous reconnaître dans la territorialisation de la prévention et des soins qui organise depuis plus de cinquante ans dans notre pays le dispositif de psychiatrie. C’est aujourd’hui une réalité à l’oeuvre sur l’ensemble du territoire national et un modèle organisationnel soutenu tant par les patients et les familles que par les professionnels et souvent cité en exemple à l’étranger. Nous y voyons ainsi la consécration des fondamentaux de la psychiatrie de secteur, qui a été, comme vous l’avez souligné, un modèle précurseur pour l’ensemble du champ médical et social. Cette dimension géographique n’est pour autant qu’un outil au service des objectifs de continuité et d’accessibilité des soins dans une perspective de personnalisation des liens, ce qui est essentiels dans notre domaine.

C’est pourquoi aussi, Madame la Ministre, les usagers, les patients les familles et les professionnels ne comprendraient pas que la seule loi consacrée aujourd’hui à la psychiatrie ne concerne que les soins sans consentement. Faut-il rappeler l’évidence qu’un patient en soins sans consentement a vocation à adhérer à des soins dont le premier objectif est alors la restauration d’une alliance thérapeutique? Ce sont en effet les mêmes patients qui, selon l’évolution de leur état clinique, peuvent ou non consentir aux soins. Seule une législation globale peut véritablement prendre en compte les particularités du champ qui nous concerne.

Les arguments en ce sens ne manquent pas. Dans son rapport d’information de décembre 2012, le sénateur Alain Milon préconise « d’intégrer la lutte contre les troubles mentaux dans la prochaine loi de santé publique ». Edouard Couty , Conseiller Maître honoraire à la Cour des comptes, et qui avait prôné dans son rapport sur la psychiatrie une loi globale, recommande en mars 2013 dans son pacte de confiance une « rénovation » du secteur et une confirmation de l’approche territoriale de la psychiatrie. Denys Robillard, rapporteur de la mission parlementaire sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie, insiste en décembre 2013 sur la réaffirmation de la «légitimité du secteur» tant pour les adultes que pour les enfants « en fixant par la loi leurs missions communes ». De même, tout dernièrement, en vous remettant son rapport le 22 avril 2014, Bernadette Devictor, présidente de la conférence nationale de santé préconise «la montée en charge particulièrement volontariste du service public territorial de santé dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale». A cette occasion, dans les principes qui guident son action, elle propose de faire confiance aux acteurs, de construire sur les acquis et de ne pas ajouter à la complexité.

Voila pourquoi, Madame la Ministre, nous avons la conviction que vous saurez prendre la mesure de ces enjeux et attendons avec confiance leur prise en compte dans un chapitre de votre loi de santé dédié à la psychiatrie et la santé mentale. Nous l’attendons avec confiance et cette « petite espérance de rien du tout et qui entraîne tout « chère à Charles Péguy, l’espérance de voir le patient reconnu à la place qui est la sienne, comme le veut la charte de l’usager en santé mentale que nous avons co- signés le 8 décembre 2000.

Pour tout vous dire, Madame la Ministre, cette confiance et cette espérance vous les avez suscitées quand vous avez qualifié la santé mentale de «trop négligée», le 23 septembre 2013 lors de la re- mise par Alain Cordier du rapport du comité des sages, dans la suite des déclarations du Premier mi- nistre d’alors qui avait promis « un regard particulier sur la santé mentale » le 8 février 2013 à Grenoble.

Cette confiance et cette espérance vous la faites vivre, toujours en octobre 2013, quand vous faites encore de la santé mentale l’ une des cinq priorités « indispensables » de la stratégie nationale de santé, en regrettant qu’elle ait été « mise de côté par les politiques publiques».

« Trop négligée »? Vous avez su trouver les mots justes, d’autant qu’il s’agit d’un enjeu majeur de santé publique pour la vie quotidienne de nos concitoyens, les pathologies psychiatriques et la consommation de psychotropes représentant le deuxième poste de dépenses de l’assurance-maladie, à hauteur de prés de 23 milliards d’euros, bien avant les cancers et les pathologies cardiovasculaires comme l’indique un rapport de l’Assurance Maladie en juillet 2013.

« Trop négligée  » aussi quand plus de vingt rapports officiels en quinze ans s’accordent sur l’essentiel sans qu’il n’y soit donné aucune suite. Notre discipline médicale a-t-elle autant démérité pour justifier un tel traitement, alors qu’existe aujourd’hui un large consensus de plus de 80%’des acteurs, co signataires de nombreux textes, sur ce qu’il conviendrait de faire, comme dans de nombreux domaines de la santé, ni plus ni moins. Le mythe d’une profession éclatée entre une multitude « d’écoles » est une idée reçue bien pratique pour certains afin de justifier leur immobilisme.

Ce consensus suffira-t-il à nous sortir de l’ornière? Votre volonté de « tourner la page de la loi HPST » se traduira-t-elle dans les faits par la reconnaissance juridique des bases de notre organisation des soins que cette même loi est venue contrarier en 2009?

Vous avez aussi l’occasion unique, Madame la Ministre, de tourner une autre page particulièrement sombre de l’histoire de notre discipline, celle du traumatisme du discours d’Antony du 2 décembre 2008, alors que pour la première fois, un Président de la République s’adressait à notre communauté à partir d’un établissement psychiatrique. Près de quatre ans plus tard, vous savez que la plaie est toujours à vif.

Nous avons confiance et espérons que vous inscrirez clairement les principes organisationnels propres au champ de la psychiatrie dans la loi de Santé que vous préparez. Nous estimons qu’il s’agit de la condition indispensable à la mise en place d’une authentique politique de secteur en France, avec la reconnaissance par la loi de la responsabilité territoriale et populationnelle du secteur, en particulier pour le domaine de la permanence des soins, de la prévention, de la réhabilitation et de la coordination des acteurs.

Pour autant, cette reconnaissance ne saurait avoir pour effet de figer nos dispositifs de soins. Nous en connaissons les marges d’amélioration, concernant particulièrement les parcours de soins, dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, quand la démographie médicale est si préoccupante et que nos concitoyens se pressent aux urgences, dans les centres médico psychologiques et à l’hôpital. Cette reconnaissance sera au contraire le signal d’une dynamique nouvelle que vous aurez su insuffler et d’une transformation attendue « pour ne jamais se dévoyer » comme vous l’évoquiez le 25 mai à Paris, lors de votre discours inaugural du Salon de la Santé et de l’Autonomie.

Madame la Ministre, vous le voyez, nous sommes à la croisée des chemins. Nous savons que vous saurez veiller à ce que ceux qui ne votent pas, qui ne manifestent pas, qui restent dans le silence de leur être, ne soient abandonnés comme l’anticipait dramatiquement le Docteur Jean Oury qui vient de disparaître. Voilà le plus bel hommage qui pourrait lui être rendu par la République à travers vous.

C’est donc avec confiance et espérance que nous vous adressons notre très haute considération.